Fin de règne


A quelques mois de la sortie des souvenirs de Marnie (Omoide no Mânî de Hiromasa Yonebayashi, déjà responsable du très beau Arrietty, le petit monde des chapardeurs en 2010) qui sera certainement le dernier film du célèbre studio Ghibli, il est bon de revenir sur deux métrages sortis en 2014, films testaments des deux réalisateurs patriarches de ce mythique studio d’animation.

C’EST LA CRISE MA BONNE DAME
En 2014, Toshio Suzuki, producteur et tête pensante de Ghibli annonce que le studio va subir une restructuration drastique et que le département animation tel qu’on le connait aujourd’hui disparaitra dans les mois prochains. Cette terrible annonce implique que les derniers films en production des réalisateurs Hayao Miyazaki (74 ans) et Isao Takahata (84 ans) seraient leurs derniers…tout court. La fin d’une époque pour ceux qui ont donnés leurs lettres de noblesse à l’animation japonaise pendant pratiquement 30 ans de films cultes réalisés de façon presque artisanale.

Selon Quentin Tarantino, l’âge venant, aucun grand réalisateur n’arrive à retrouver l’état de grâce de sa jeunesse et à réaliser le film définitif, le point d’orgue de sa carrière, le chef-d’œuvre d’une vie. Au contraire: ça radote, ça pantoufle lamentablement dans des productions tièdes, souvent laborieuses et finalement le dernier film d’une carrière est souvent un étron indigne et maladroit. Il faut savoir prendre sa retraite avant de faire le film de trop et de finir comme Alfred Hitchcock ou Billy Wilder. Ce problème ne se pose pas pour messieurs Takahata et Miyazaki.

 

kaguya affiche
UN CONTE DE LARMES ET DE NEIGE
Le Conte de la Princesse Kaguya
(Kaguya-hime no monogatari) est l’adaptation d’un des contes japonais les plus anciens jamais connu (le coupeur de Bambou) que Takahata cherche à adapter depuis la fin des années 50. Il raconte l’histoire de Kaguya, bébé découvert dans une tige de bambou et adoptée par un vieux bûcheron et sa femme. La petite fille grandissant à vu d’œil, ses parents sont convaincus de sa nature exceptionnelle. Ils déménagent en ville, deviennent nobles et tentent de la marier à un riche parti. Kaguya, évidemment, ne rêve que de retourner à la vie simple de la campagne et retrouver ses amis d’enfance, dégoûtée par les manigances de la cour et l’ineptie de ses soupirants.

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Loin des films empreints de fantaisie légère de son collègue Miyazaki, Takahata garde son goût du grave et de la mélancolie, comme dans ses productions précédentes (Le tombeau des lucioles, Souvenirs goutte à goutte, Pompoko) au travers d’une histoire de vie perdue et de deuil de l’enfance. Comme à son habituelle humilité, le cinéaste adapte son style visuel à son histoire, préfèrant se fondre dans le sujet qu’il traite plutôt que de lui imposer sa patte (voir aussi Mes Voisins les Yamada, chronique d’une famille japonaise ordinaire traitée sous la forme de sketches respectant le style simpliste et aquarellé du manga dont il est adapté). Le film semble être une estampe qui prend vie avec des décors esquissés, des personnages aux traits minimalistes permettant de véritables expérimentations visuelles et faisant cohabiter plusieurs styles (une scène en particulier, la fuite du palais, incroyable et viscéral moment d’animation expressionniste qui tranche avec tout le reste du métrage). Pessimiste, grave et beau; habité d’une tristesse infinie, ce film est une splendeur poétique, un ultime métrage magistral d’un grand monsieur de l’Animation injustement relégué pendant toute sa carrière (en tout cas chez nous) dans l’ombre de son ami Miyazaki.

 

kaze affiche
…IL FAUT TENTER DE VIVRE.
Pour son ultime long-métrage Miyazaki abandonne lui aussi les histoires enivrantes d’amour et de nature de ses derniers films pour boucler la boucle de son cinéma, abordant tous ses thèmes les plus chers, autopsiant son propre cinéma. Le vent se lève (Kaze tachinu) narre l’histoire de Jirô Horikoshi, trop myope pour piloter mais qui devient ingénieur aéronautique et crée les chasseurs Zéro de l’armée japonaise durant la deuxième Guerre Mondiale. Égoïstement, il refuse de voir que ses magnifiques aéroplanes finiront par apporter mort et destruction, galvanisé par son maître Giovanni Caproni qui lui apparaît dans ses nombreux rêves. Le parallèle entre Jirô et Miyazaki lui-même est évident. Ces deux créateurs possèdent la même flamme, la même méticulosité maniaque, la même vie empreinte de sacrifice pour l’amour de leur art. L’aviation et la maladie de sa mère (la tuberculose) sont des thèmes que Miyazaki a souvent abordé dans sa filmographie mais jamais de façon aussi frontale et si ses œuvres ont toujours baignées dans une ambiance quelque peu douce-amère, aucune n’a jamais été d’un pessimisme aussi dur (depuis peut-être l’opératique Princesse Mononoké en 1997).

KazeTachinu2

Si Le vent se lève est zébré de scènes de rêves d’un onirisme mélancolique, il est aussi le film de son auteur le plus ancré dans la réalité. Jirô est un témoin de la marche chaotique du monde qui préfère s’enfermer dans une bulle pour créer l’avion parfait sans trop s’appesantir sur l’utilisation qui en sera faite. La fin du film avec son cimetière de carcasses et son cortège céleste d’appareils tombés au combat rappelle la plus belle scène de Porco Rosso. Et aussi que la réalité rattrape les rêveurs. Testament amer et synthèse de tout l’imaginaire de Miyazaki, Le vent se lève est beau à en crever. La mise en scène et l’animation sont d’une maîtrise et d’une maturité hallucinantes.

En conclusion et pour faire mentir l’adage, alors que  la réalité a rattrapé les rêves d’un studio mythique, les adieux au Cinéma de leurs deux pères fondateurs sont des apothéoses bouleversantes. Des chefs-d’œuvre, quoi.

 

Et pour ceux que ça intéressent, voici mon top ciné de 2014.
1. Le vent se lève (Hayao Miyazaki)
2. The Homesman (Tommy Lee Jones)
3. Le conte de la princesse Kaguya (Isao Takahata)
4. Dragons 2 (Dean De blois)
5. Gone Girl (David Fincher)
6. X-Men Days of the future past (Bryan Singer)
7. The Grand Budapest Hotel (Wes Anderson)
8. Le Hobbit: la bataille des cinq armées (Peter Jackson)
9. Nightcrawler (Dan Gilroy)
10. La grande aventure Lego (Phil Lord, Christopher Miller)


À propos dorktales
just a dork

3 Responses to Fin de règne

  1. Escrocgriffe says:

    Article magnifique. Hier, j’étais en larmes devant Marnie, je n’arrive toujours pas à réaliser que je viens de voir le dernier Ghibli… J’espère vraiment que le studio renaîtra de ses cendres !

    • dorktales says:

      Un grand merci!
      Oui, je viens de revoir Le voyage de Chihiro et ça fait un sacré pincement au cœur…en attendant Marnie. On croise les doigts pour qu’ils puissent continuer à produire des œuvres de ce standard à l’avenir, d’une façon ou d’une autre.

      A noter, un excellent podcast sur capturemag.net avec les critiques Rafik Djoumi (Bits), Arnaud Bordas et d’autres (tous des ex du magazine Mad Movies) qui est revenu longuement sur ce sujet. Très intéressant et bientôt dispo en mp3.

      • Escrocgriffe says:

        Génial, je suis fan de Mad Movies ! J’ai hâte d’écouter ça 😉

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